Chaque jour, j’empreinte des routes sinueuses près de mon village d’enfance. : Gières, une petite commune à l’Est de Grenoble.
Dans la lumière du couchant, quand l’ombre des massifs commence à caresser la cime des arbres, je me laisse souvent emporter par la douce nostalgie de cet âge où le bonheur est un état permanent. Les souvenirs jaillissent en moi comme les gerbes d’étincelles sous les clous des pneus s’accrochant à la chaussée des rallyes de mon enfance.

Les copains et moi, nous étions toujours aux premières loges pour voir passer les voitures sur les routes du rallye de Monte-Carlo. Les doigts serrés dans nos poings bleuis par le froid, le souffle court et embué, nous écoutions au loin résonner le moteur, le passage des vitesses. Quand le bolide s’approchait enfin, il y avait cette irrépressible bouffée de chaleur et nos pieds ancrés dans la neige des bas-côtés faisaient soudain des bons.

Il me semble que l’enfance, c’est exactement cela : des instants de magie que nous passons notre vie à tenter de retrouver. Nous étions éblouis par ces gerbes de feu causés par les clous pyramidaux des pneus importés des pays nordiques. Sur chaussée sèche, ils offraient des feux d’artifices à nos yeux de gosse. Les odeurs d’huile chauffée à blanc, la fumée des moteurs de ces bolides passant comme des étoiles filantes emportaient le reste de nos sens. Les pilotes étaient nos héros bien plus encore que tous ceux qui s’apprêtaient à conquérir l’espace.

En 1959, j’avais 10 ans et je me souviens avoir vu passer des vespa 400 au milieu des grosses cylindrées . Peut-être que ce petit véhicule de trois fois rien a été le déclencheur : si un engin aussi modeste, utilisé par mon propre père, pouvait participer au rallye, le rêve de devenir un jour moi aussi un des héros devenait plus accessible.

Le patron de mon père, voyageur de commerce, lui en prêtait une de temps à autre et je m’installais debout sur le siège, la capote levée, les cheveux au vent. Quelle liberté !
Dans nos montagnes, les premières chutes de neige arrivent parfois par surprise et c’est avec délice que j’entends encore mon père me raconter l’histoire de ce camionneur qui avait accepté d’installer sur sa remorque, la vespa 400 emprisonnée dans la poudreuse. Rien d’étonnant si quelques années plus tard , avant même d’obtenir le permis, je me suis acheté une vespa 400, ma première voiture, mes premiers travers sur la route!

Mon père, réticent au départ, n’a pas lutté longtemps contre ma détermination à devenir pilote. Il fut mon premier co-pilote ! Toute la famille s’est mise à y croire, mes frères et sœurs m’ont tous soutenu, me prêtant même leur propre voiture. Je courais dans des voitures très modestes. Les bons chronos et les victoires arrachées à des voitures bien plus puissantes ont permis de me faire repérer par la profession. Avec patience et persévérance, j’ai ainsi lancé ma carrière. Au fil des années j’ai piloté avec succès des monstres sacrés tels la Renault 5 turbo, la Lancia Delta Intégrale et la 205 Turbo16. Je peux bien avouer aujourd’hui que quel que soit le nombre de chevaux sous le capot ou le niveau de compétition, durant la course, je devenais l’un des héros de mon enfance.

En 2018, trente ans après ma victoire au Rallye Monte-Carlo, comme pour faire un pied de nez au temps qui passe trop vite, j’ai participé au rallye version historique avec mon fils. Vous devinerez facilement quel véhicule nous avons choisi : cette petite quatre-cents centimètres cubes dont j’avais déjà la miniature en poche à 10 ans ! Quelle émotion d’entendre à nouveau résonner la Marseillaise pour saluer l’exploit de notre arrivée et prouver une fois encore, qu’à force de volonté, tout rêve peut devenir réalité.

Bruno Saby pour MyLittleRedCar

BONUS

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