19. LE TONE - la chronique MyLittleRedCar dans AUTOHEROES #030

Au début des années 80, la R18 devient la voiture familiale la plus vendue en France avec plus de deux millions d’exemplaires écoulés.

MADELEINE DE PROUST

Ce n’est pas la yougtimer la plus jolie qu’il nous sera donné de croiser sur nos route. Le Tone artiste aux talents variés, musicien, graphiste, auteur de bandes dessinées, journaliste et présentateur télé, nous explique pourquoi la R18 GTX break de son enfance est sa madeleine de Proust.

La première fois derrière le volant à jouer de l’embrayage de la Renault 18 familiale, j’ai 11 ans  tout juste. Mon père tente d’apprendre la conduite à ma sœur aînée sur une petite route au bord de la Charente à la sortie-Est de Jarnac. Mon père est un homme très occupé et les moments avec lui sont aussi rares que précieux. Mais cette fois, il est bien là et nous allons vraiment conduire !!! La rivalité fraternelle que nous entretenons ma soeur et moi, me fait rire aux éclats à chaque fois que le moteur cale. Je me jure intérieurement de ne pas faire subir à la voiture les mêmes écueils. Mais évidemment, dès que mes pieds effleurent les pédales, c’est à son tour de rire ! 

Malgré tout, au gré des craquements suraigus, des soubresauts du moteur et des trajectoires cahotantes, la Renault 18 a tenu sa promesse et s’est laissée domptée ! Quelle fierté ! Après cela et de manière tout à fait inconsciente, il faut bien l’avouer, j’ai eu le droit de conduire la voiture de ma mère. Il fallait s’y attendre, un jour, jouant du frein à main pour épater une copine, j’ai terminé dans le fossé. Au final, même si c’est une sorte d’apprentissage à la mode années 80, cela m’a réellement servi de leçon puisque avant même d’avoir le permis, je prends à cet instant la décision de ne plus jamais tenter de virage au frein à mains !  Ah chère Renault 18, je lui dois  tant d’autres souvenirs…

Sur le périph, je respire l’odeur des départs aux sports d’hiver, effluves du coffre débordant d’affaires. Lové dans la banquette arrière, bercé par le ressac des changements de vitesse et des ralentissements dans les encombrements parisiens, je suis envahi par la joie si propre à l’enfance, cette joie où les promesses du futur proche ne sont pas encore contrariées par la conscience de leur fugacité. Est-ce qu’une chrysalide ressent le même genre d’enchantement dans la quiétude de son cocon ? Je regarde les morceaux de ciel gris défiler entre les immeubles. À travers la vitre où mon nez collé dessine des petit pois dans la buée, je commence à reconstruire le puzzle du ciel. La sortie de Paris, les vacances commencent ! Je plonge dans une bande dessinée où la R18 devient Le Transperceneige. Je déraille quand mon père enfonce brusquement la pédale de frein. La voiture glisse dans un crissement de pneus. Trop tard pour éviter la voiture de devant. Face au spectacle du pare-chocs embouti, j’imagine dire adieu aux vacances de février avec Papa ! Devant nos mines déconfites, le conducteur de l’autre voiture, plein d’ingéniosité mécanique, réussit à redresser les tôles et à rafistoler la R18 ! "Il n’y a pas de fuite, vous pouvez repartir !" À nous les longues lignes droites bordées d’arbres cristallisés, à nous le défilé clignotant des lumières des tunnels où je deviens Actarus dans son Goldorak, à nous les virages où l’embrayage joue sa meilleure partition, à nous les sommets enneigés !

L’été suivant, c’est maman qui payera les pots cassés de cette réparation de fortune. En vacances en Espagne le voyant de température d’eau de la voiture nous indique une surchauffe du moteur après chaque montée. Le radiateur a été enfoncé et nous oblige à d’interminables arrêts sous une chaleur aussi accablante que celle des aventures de Blueberry.

Après tant de belles tranches de vie près de la maison de mes grands-parents, de pique-niques et de baignades dans la Charente, d’escapades à la décharge  pour y dénicher les objets les plus insolites, mon cousin un jour, demande à emprunter la Renault. Lorsqu’il sonne à la porte, c’est moi qui ouvre. Il demande à parler à mes parents. Je ne sais pas si c’est le ton de sa voix ou un pressentiment instinctif mais je sens mon coeur battre la chamade et je comprends immédiatement qu’il est arrivé quelque chose à la voiture. Trop accidentée pour rentrer à la maison, je ne l’ai jamais revue.

En découvrant la miniature photographiée par Julien, il est facile de comprendre à quel point toutes ces réminiscences de l’enfance ont pu me submerger et comme Proust à propos de sa madeleine, "Un plaisir délicieux m’avait envahi (…) Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour…". Merci chère Renault 18.

Le Tone pour MyLittleRedCar

"Lors de mes fameuses vacances en Espagne, je rêvais de devenir pilote pro. Mes idoles : Michèle Mouton et DerekWarwick"

BONUS

Les anciens numéros d'AutoHeroes sont toujours disponibles : Kiosque AutoHeroes