28. Régis Mathieu - la chronique MyLittleRedCar dans le magazine AUTOHEROES #039

« Je n’ai pas la chance de posséder une Porsche 550 spyder. Une 718 RSK, la version d’après, fait tout de même partie de ma collection en taille réelle. »

Porsche depuis des Lustres

Cette Porsche 550 Solido est une survivante pour Regis Mathieu, la seule de toutes ses petites voitures qui n’ait jamais perdu la tête !  Regis Mathieu le célèbre lustrier en pleine restauration des lustres de Notre-Dame nous raconte.

Dans mon esprit d’enfant, cette barquette ouverte, typique des années 50 évoquait le summum du raffinement. Je ne savais même pas que c’était une Porsche, mais la petite tête du bonhomme qui dépassait, c’était la mienne et je m’y voyais déjà avec mon blouson en cuir d’aviateur et mes lunettes de soleil dans les cheveux. Dans ma chambre en désordre, ma mère passait souvent comme un ouragan et sans ménagement balançait mes miniatures éparpillées dans le baril prévu à cet effet. Je ne sais pas par quel miracle, j’ai pu permettre à celle-ci d’échapper au grand fracas quotidien du rangement maternel, préservant la petite tête si fragile !

Adolescent, j’ai eu de belles aventures avec des coccinelles que je retapais. Je me suis aperçu que la ligne de la 550 était en quelque sorte, la version plate de la Coccinelle. A mes yeux, cela lui donnait encore plus de valeur et elle m’a ensuite tout naturellement accompagné dans ma chambre d’étudiant. En quelque sorte, cette miniature a été le témoin de ma passion naissante pour les Porsches. 

Si je joue le jeu de l’introspection et que je réfléchis à l’origine de mon engouement pour les Porsches, ma première réminiscence est liée à une expérience purement sensorielle dans la 911SC du père d’une copine qui nous emmenait à l’école. Assis à l’arrière, je percevais cette différence extraordinaire de propulsion grâce au moteur qui vrombissait dans mon dos. Plus tard, entre Marseille et ma pension à la Seine-Sur-Mer, le père d’un copain nous impressionnait dans sa 930 boîte 4, en tirant la bourre aux motos en sortant des péages. Dans les années 80, il faut bien se rendre compte que dans mon entourage, une Aston Martin n’existait que dans les James Bond et les Ferrari et les Lamborghini uniquement sur les pages de calendrier. Le père de mon copain, en jouant avec l’accélérateur de sa Porsche, nous offrait des bouffées de pur plaisir !


Ces sensations se mêlaient aussi au plaisir esthétique, la beauté des lignes me subjuguait. J’admirais l’efficacité du dessin qui me touchait au coeur. Je retrouvai cette efficacité dans le modèle de la  Coccinelle et pour cause, puisque Ferdinand Porsche lui-même avait conçu cette voiture très populaire et plus accessible pour ma bourse. Vers 16 ans, j’avais retapé ma première Coccinelle  avec l’aide d’Hélène, celle qui deviendra la femme de ma vie. Achetée 2000 francs, nous l’avions revendue 20 000. Grâce aux fruits d’autres bonnes affaires, restaurations, reventes, je pus m’offrir ma première Porsche 356 SC à 18 ans. Nous l’avions trouvée par petites annonces en Allemagne. Quel grand bonheur de revenir au volant !  Nous nous étions arrêtés au Musée de l’Automobile à Mulhouse où l’on nous ouvrit la grande porte, puis aux Gets  où il y avait une concentration de Porsches, quelle aventure !  J’ai ensuite trouvé ma seconde Porsche 356 par hasard, lors d’un voyage aux Etats-Unis, et me voilà propriétaire d’un Speedster. La voiture qui m’avait été vendue était en pièces et remontée en Amérique. Elle fit miraculeusement la route entre le Havre et Paris malgré un moteur dépourvu d’huile, une grosse fuite d’essence, un train avant non serré mais, cette fois, je commençais à ressembler à mon personnage d’enfance, la tête qui dépassait de la carrosserie !

Au bord de la route, en m’arrêtant  pour admirer sa ligne, je compris une chose : j’étais face à un objet sublime, conçu avant moi et qui me survivrait. Cette voiture n’était pas à la mode, très méconnue en Europe et pourtant elle avait cette beauté intemporelle de la perfection. Je prenais ma première grande leçon d’humilité face à l’objet. Et même si mes copains de l’époque ne voyaient pas l’intérêt de cette voiture qui ne ressemblaient pas du tout aux modèles Porsches plébiscités à la fin des années 80, j’avais une intuition. Je ressentais cette nécessité de penser que ce qui compte ce n’est pas d’être à la mode mais, de toucher du doigt la perfection et aboutir à l’esthétique qui bouleversera aussi, les générations qui nous succèderont. 

Nous ne sommes propriétaires de rien, nous sommes juste un maillon de la chaîne. J’en ai fait le leitmotiv des créations de ma lustrerie et si les grandes écoles de commerce tentent aujourd’hui de déceler le secret de ma réussite, il est là : respecter et entretenir l’âme des beaux objets nés d’un savoir-faire collaboratif et passionné et comme pour ma petite Solido, ne jamais perdre la tête.

"Ce portrait photographique fleure bon les année 70"

Bonus :

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