25. Christophe Piochon - la chronique MyLittleRedCar dans AUTOHEROES #036

 

  

Les proportions de cette Ferrari 250 GTO ne sont pas les bonnes mais cette petite voiture a le goût de l’authentique, la preuve que l’oeuvre d’art surgit dès que l’on éveille l’imagination d’un enfant.

 

Veyron, Chiron, Piochon

Christophe Piochon, président de Bugatti Automobiles ne va pas nous conter l'histoire d’un bolide tout droit sorti de l’usine de Molsheim. Il nous parle de la fabrication de sa petite Ferrari.

 

Entre 1987 et 1988, en sortant de l’école, je retrouvais mon grand-père dans son garage. Comme toutes les communes de France,  Grandcamp-Maisy dans le Calvados se parait d'affiches électorales et les conversations d'adultes courraient de droite à gauche. Du haut de mes douze ans, je n’avais cure des querelles politiques et pour moi, mon grand-père Henry était le seul homme qui pouvait donner sens aux qualités prônées par les slogans. « La force tranquille », « le courage et la volonté », c’était lui.

Il suffisait de regarder ses mains et toute l'histoire d'une vie pouvait surgir. Autrefois rodées au métier de tôlier formeur chez Renault département compétition, calleuses à souhait, elles travaillaient les formes au ciseau à bois et ses doigts dessinés par le labeur, agrippaient les marteaux frappant la tôle. Je les ai observées des heures durant.

C’était un temps sans internet, sans smartphone. Un temps où l’on rêvait devant les photographies de grosses cylindrées d’un calendrier des Postes, l’almanach du facteur.  Ma maman, qui était préposée des Postes,  les distribuait chaque année de porte en porte. 

Un jour, mon grand-père m’a dit de choisir une des voitures du calendrier et m’a proposé de la fabriquer en modèle réduit. Je craquais pour la 250 GTO.

Il nous fallait une tôle de 8/10ème. Nous l’avons trouvée sur une portière d’AX. J’avais donc un aplat de métal devant moi et j’allais découvrir au fil de nombreuses heures passées en sa compagnie, toutes les ficelles du métier de tôlier. Je pense avoir passé tout mon temps libre de ces années-là dans la pénombre de ce garage, au milieu de meubles sans âge où mon grand-père rangeait ses outils et tous les secrets de son savoir-faire. Dans cet antre plein d’odeurs de métal soudé, mon grand-père me transmettait la nécessité de patience et de rigueur pour chaque étape de la construction, et surtout, il m’autorisait à croire en ma propre capacité de création. Il fallait en effet beaucoup d’imagination lorsque je comparais la plaque de tôle à la photo de la Ferrari sur la page du calendrier, mais grâce à lui je compris que les erreurs et les imperfections jalonnent toujours le chemin vers l'idéal. Cet héritage n'est sans doute pas étranger au fait que je gravite aujourd'hui dans le milieu de l'excellence automobile, même si je ne suis pas dupe des nombreux défauts de cette tentative enfantine de construction automobile.

Dès mon premier stage et mon premier poste chez Volkswagen en tant qu’ingénieur qualité, et plus tard lors de la mise au point de la Bugatti Veyron, j'ai  pu  mettre en œuvre toute la force de volonté et la rigueur de travail transmise dans l’enfance. 

J’ai eu la chance inouïe de ne pas connaître de tuto sur TikTok ou Instagram, ni de Youtubeur à la mode pour me donner l’impression de savoir faire et la flemme de m’y mettre. J’ai eu la chance d’avoir le temps du rêve, ce temps où l’imagination cavale, ce temps où s’inventent les gestes qui permettront de créer la forme, de parfaire une soudure et d’en tester l’étanchéité. J'ai eu la chance d'avoir un grand-père qui me donnait de son temps et il était alors si naturel de lui consacrer le mien. 

 

Rien ne me prédestinait au départ à travailler dans le milieu de l’automobile et encore moins pour un constructeur aussi prestigieux que Bugatti, venant d’un milieu modeste où mon père, tout comme la majorité de mes copains de classes avaient quitté l’école pour devenir marin-pêcheur.

Dans mon village d’enfance, il était rare de vouloir apprendre l’allemand. Il était rare de préférer l’ingénierie automobile à l’univers de la mer. Et il était encore plus rare de ne choisir que des entreprises d’automobiles allemandes pour envoyer ses premiers CV et passer ses entretiens par téléphone parce qu’il était impensable de payer un billet de train pour rien! J’ai eu deux réponses positives et mon grand-père m’a vu partir en Allemagne. J’espère qu’il a pu voir la suite du haut du paradis des tôliers et qu’il se ballade aujourd’hui à mes côtés lorsque j’arpente les ateliers Bugatti où nos techniciens de génie effectuent leur travail sur ces monstres sacrés ! 

A l’arrière de cette photo, ma grand-mère Renée avait griffonné  : « Un futur PDG ». Elle avait vu juste.

Bonus :

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